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En tête-à-tête avec Élise Racicot

Ambassadrice du Canada au Portugal

par Adriana Dopio
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Élise Racicot incarne le dynamisme de la diplomatie canadienne. Ambassadrice au Portugal, elle fut la première femme déléguée commerciale en Iran, elle a mené des missions stratégiques au Brésil et œuvré pour l’équité des femmes diplomates. Elle préside aujourd’hui l’Association des ambassadrices à Lisbonne en insufflant son audace et son énergie contagieuse dans chaque dossier.

Quel est votre parcours ?

Je suis en poste à Lisbonne depuis un peu plus de deux ans après avoir exercé au Brésil comme chef du commerce et de l’investissement pour la plateforme canadienne de missions diplomatiques au Brésil, en Iran, à Montréal et à Ottawa au sein des Affaires mondiales du Canada. Mon poste à Lisbonne est d’une durée de quatre ans.

Parliez-vous portugais avant d'arriver ?

J’ai suivi, en 2009, une formation linguistique en portugais durant un an, avant d’être postée au Brésil et je suis arrivée des années plus tard au Portugal en parlant déjà couramment la langue, avec un accent des Amériques. Le Canada a cette particularité que les diplomates envoyés dans des pays qui parlent portugais (ou espagnol, arabe, mandarin, japonais, allemand, coréen ou russe), doivent apprendre la langue avant de partir durant une formation linguistique d’une ou deux années à temps plein.

Comment qualifieriez-vous la communauté canadienne au Portugal et de combien de personnes est-elle composée ?

Le chiffre est difficile à connaître avec exactitude, car nous n’interrogeons pas les habitants qui quittent le Canada sur
leur prochain pays de résidence comme le font certains pays, et l’inscription à l’Ambassade dans le nouveau pays n’est pas obligatoire. Certains Canadiens habitant au Portugal se sont enregistrés – et ont bien fait, car cette inscription peut être utile dans les cas d’urgence. J’encourage tous les citoyens canadiens à le faire. De ce fait, nous estimons entre 20 et 30 000 le nombre de Canadiens au Portugal, dont de nombreux bi-nationaux. Le chiffre est en augmentation.

« On compte aujourd'hui une centaine de vols directs par semaine, entre le Canada et le Portugal, desservant Montréal ou Toronto vers Faro, Porto, Lisbonne et les Açores. La communauté est grandissante et assez équitablement répartie entre francophones et anglophones.»

Quel est leur profil ?

Il y a à la fois des retraités et des snowbirds, comme on dit au
Canada pour désigner les gens qui passent l’hiver au soleil.
Autrefois en Floride, aujourd’hui de plus en plus souvent au Portugal. Il y a également de nombreux nomades digitaux et de jeunes entrepreneurs venus en famille qui ont choisi de s’établir au Portugal. On compte aujourd’hui une centaine de vols directs par semaine, entre le Canada et le Portugal, desservant Montréal ou Toronto vers Faro, Porto, Lisbonne et les Açores. La communauté est grandissante et assez équitablement répartie entre franco-phones et anglophones. Au Canada nous avons plus de 500 000 luso-canadiens qui vivent dans le pays et représentent une diaspora importante, renforcée ces derniers temps par une immigration brésilienne, qui choisit parfois le Portugal en second recours. Mon mari est d’ailleurs brésilien et notre fils canado-brésilien.

Quels objectifs vous êtes-vous fixés en prenant ce poste au Portugal ?

Au niveau personnel, avec mon mari, nous souhaitions continuer à vivre dans un monde lusophone, car à la maison le portugais est l’une de nos langues de communication. À Lisbonne, notre fils peut avoir accès à des écoles bilingues où il apprend à la fois la langue de sa mère et la langue de son père. Au niveau professionnel, je l’envisage comme une continuité de mes années de carrière au Brésil. Le Portugal est un lieu stratégique pour accéder à une meilleure compré-hension de notre relation avec les pays de l’Union européenne. Dans le contexte actuel d’un monde plutôt divisé, le Canada se sent très proche de la vision européenne. Nous avons des valeurs communes et une même volonté de recherche d’un monde meilleur où les droits humains sont respectés. Il m’est essentiel de contribuer à renforcer notre vision commune.

Vous avez participé aux événements liés à la fête de la francophonie cette année à Lisbonne. Quelle importance revêt pour vous la francophonie ?

La francophonie est extrêmement importante. Je suis franco-canadienne et nous sommes aujourd’hui environ sept millions de francophones en Amérique du Nord. Bien entendu, l’anglais reste la langue la plus parlée sur ce continent, mais défendre le français est pour nous une question de survie culturelle. Au Canada, et bien sûr au Québec, nous facilitons toujours l’installation de francophones pour étudier, s’établir ou travailler afin de contribuer à l’essor de la langue française. C’est l’occasion de célébrer cet héritage commun avec tous les accents, toutes les origines, toute la richesse d’une langue multiple et très répandue partout dans le monde. Même au Portugal, où le français n’est pas la langue nationale, la francophonie occupe une place importante.
Avec nos moyens relativement limités, nous sommes parvenus à promouvoir des activités autour de la francophonie comme des rencontres avec des auteurs canadiens venus parler de migration, des réfugiés, des questions de racisme ou encore de la désinformation et de son impact sur la démocratie.

Dans quel quartier vivez-vous ?

J’habite Campo de Ourique et mon fils va à l’école à proximité. C’est un quartier très francophile et francophone. Il y a de nombreuses boutiques où l’on parle français et où l’on trouve des produits français. Cet environnement hybride ressemble à celui que j’ai pu connaître à Montréal ou Ottawa, deux villes également bilingues. Je me sens à la maison à
Campo de Ourique.

Quels sont les bons et les mauvais côtés de la fonction que vous occupez ?

Mon travail est extrêmement motivant. Je me sens utile, je participe à l’amélioration des liens entre notre pays et le reste du monde, et je suis là pour assurer la sécurité, le bien-être et les services dont ont besoin nos citoyens. Côté désagrément, je ne vois que les déménagements fréquents en famille tous les quatre ans, qui sont parfois lourds à porter, même si de belles aventures se dessinent à chaque étape. À Lisbonne, j’ai le bonheur d’être la présidente de l’Association des femmes ambassadrices, avec une quarantaine de femmes en poste dans la capitale. Nous organisons des réunions et des conférences souvent très intéressantes, comme récemment un débat sur les femmes, la paix et la sécurité qui s’est déroulé à l’institut de défense nationale, en présence du président portugais. Nos événements
sont ouverts au public. Toutefois, même si les choses évoluent lentement dans le monde diplomatique, il reste encore
du chemin à faire pour arriver à l’équité parfaite qui impliquerait que ce soient les femmes qui imposent le mode de vie au conjoint et aux enfants et non l’inverse.

Pour vous sentir bien dans un nouveau logement, de quoi avez-vous besoin ?

Je n’ai pas besoin de grand-chose. Ma famille, mon fils et mon mari. Quelques pièces de ma garde-robe, des livres, des jouets et beaucoup de couteaux, de casseroles et d’équipements de cuisine, car mon mari est chef en cuisine. Moi, avec une valise ou deux, je m’adapte. Lui travaille toujours au Brésil. Il fait des allers-retours constants.
Il a plusieurs restaurants au Brésil et anime même une émission de télévision sur la chaîne Record pour laquelle il voyage en Europe, en Afrique du Nord, dans les Amériques, à l’affût des spécialités culinaires et de recommandations touristiques et culturelles.

Qu'avez-vous découvert au Portugal, qui vous a séduit ou étonné ?

J’aime beaucoup l’idée d’habiter dans une ville à taille humaine avec tous les avantages des grandes métropoles en matière culinaire, artistique et de loisirs. Je trouve formidable le fait d’habiter à proximité d’un aéroport qui a des liaisons vers le monde entier. J’apprécie le fait de conduire une demi-heure en dehors de Lisbonne et de me retrouver au bord de la mer ou en pleine nature. J’aime beaucoup la côte alentejana, Cascais, Sintra et ses environs, la forêt de Bussaco… Au Canada, on a évidemment de très grandes forêts. Au Brésil des plages sublimes, mais au Portugal tout est
à proximité, il est facile de voyager et de retrouver partout les traces d’une histoire riche et ancienne.

Quelle est la rencontre la plus marquante ou touchante que vous ayez faite ?

Il y en a tellement ! Peut-être notre invité à la fête de la francophonie l’an dernier ? Une auteure d’origine vietnamienne, Kim Thuy, qui est extrêmement inspirante et humaine. Nous avons eu des conversations passionnantes. Elle a même appelé mon père et parlé avec lui pendant une demi-heure de choses très personnelles. C’est quelqu’un d’une humanité et d’une disponibilité exceptionnelles.

Avez-vous, en dehors de vos fonctions diplomatiques, un hobby, une passion ?

J’ai toujours été assez sportive. Mon père était professeur d’éducation physique et sans doute ai-je été très sportive, car il s’agit toujours d’une activité commune avec mon père. Aujourd’hui, je nage assez régulièrement et je fais du yoga. Je ne peux pas m’en passer. Je pratique aussi la méditation qui me fait beaucoup de bien.

Beaucoup d'ambassadeurs prennent leur retraite au Portugal après y avoir été en poste. Seriez-vous tentée ?

Honnêtement, ce serait envisageable. Le pays est très agréable à vivre, Je me sens un peu au Canada et un peu au Brésil,
tout en étant au bord de l’Atlantique. Je retrouve les grandes familles traditionnelles comme c’était le cas autrefois au Canada très longtemps. Je pourrais m’imaginer vivre à Sintra, dans les montagnes. Je suis certaine que j’y serais heureuse. Je connais des collègues, anciens diplomates, installés ici qui sont ravis.

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