Depuis plusieurs années, la mode française choisit le Portugal pour la qualité de sa production textile. Les créateurs viennent y chercher un savoir-faire traditionnel, et des conditions de fabrication plus éthiques et respectueuses de l’environnement.
Cela fait maintenant cinq ans que l’histoire entre Nicolas Hernandez, fondateur de la marque française de sous‑vêtements Pétrone, et le Portugal a commencé. Depuis ses débuts en 2019, le créateur fait produire les quelque 70 000 unités annuelles destinées au marché français dans l’usine Texdia, à Oliveira de São Mateus (région de Braga). Son concept : produire des sous‑vêtements pour hommes de bonne qualité à un prix accessible, tout en privilégiant des méthodes de fabrication plus respectueuses de l’environnement.
« Lorsque j’ai lancé la marque, je savais que je voulais produire en Europe, pour une question éthique. Je souhaitais fabriquer dans des pays qui respectent le code du travail et les normes environnementales, explique Nicolas Hernandez. Après plusieurs comparaisons avec des sites de production en Italie et en France, le Portugal est apparu comme la solution au meilleur rapport qualité/prix ».
Ces dernières années, le nord du Portugal, et plus particulièrement la région située entre les villes de Barcelos, Braga, et Guimarães, s’est imposé comme l’un des plus importants centres de fabrication textile en Europe. Le bassin attire en particulier des marques de milieu et de haut de gamme : Dior, Louis Vuitton et Balenciaga confectionnent ainsi leurs collections dans l’usine Petratex, près de Paços de Ferreira. Le fabricant Riopele, dans les environs de Vila Nova de Famalicão, compte parmi ses clients le groupe SMCP : Sandro, Maje, Claudie Pierlot et Fursac. Isabel Marant, Jacquemus ou encore Fred Perry font quant à eux fabriquer leurs vêtements dans l’atelier Vermis, tandis que les pulls de la marque Asphalte sont confectionnés dans l’usine Elmate. Tous sont proches de Guimarães.
« Je souhaitais fabriquer dans des pays qui respectent le code du travail et les normes environnementales ».
TOUS LES MÉTIERS REPRÉSENTÉS
Le nord du Portugal concentre ainsi près de 80 % des 6000 entreprises du secteur textile, employant environ 120 000 salariés. Pour César Araújo, président de l’Association nationale des industries du vêtement et de la confection (ANIVEC), cette réussite est due à la préservation d’un certain savoir-faire : « Tous les maillons de la chaîne de production, de la création à la confection, sont concentrés au même endroit. On y trouve, par exemple, les usines qui fabriquent les fils, les boutons ou les fermetures éclair. » « En France, la plupart de ces activités – qu’il s’agisse du tissage, de la teinture ou de l’ennoblissement – ont soit disparu, soit sont disséminées sur le territoire », atteste le créateur de Pétrone. Les sous-vêtements sont produits à partir de coton biologique et de tencel – tissu appelé aussi « soie végétale » pour sa douceur. Achetés en Suisse, ils sont ensuite tissés et teints au Portugal. « Atteindre cette qualité en France aurait été plus compliqué et plus cher », explique Nicolas Hernandez. Produire à cette extrémité de l’Europe présente un avantage comparatif sur le coût de la main-d’oeuvre. En 2024, le salaire minimum portugais mensuel brut s’élève en effet à 820 euros, contre 1323 euros en Espagne ou 1767 euros en France.
« Je souhaitais fabriquer dans des pays qui respectent le code du travail et les normes environnementales ».
Fort de ce succès, le Portugal a exporté en 2023 pour 3,4 milliards d’euros de vêtements, à plus de 80 % vers l’Union européenne (Espagne, France, Allemagne et Italie en tête). Le Portugal exporte aussi outre-Atlantique, vers les États-Unis, ainsi que le Canada qui a augmenté ses importations de 67 % en 2023, en comparaison à l’année 2022, selon l’Institut national de statistique (INE). « Le pays s’améliore dans la logistique, pour permettre aux marques d’exporter directement vers différentes régions du monde », remarque César Araújo.
DES TENDANCES QUI ÉVOLUENT CHEZ LES CONSOMMATEURS
« La proximité du Portugal avec les sièges des marques européennes et américaines, et les centres de distribution en fait un fournisseur sûr », ajoute César Araújo. Depuis la crise sanitaire, les risques crois-sants de perturbation sur les chaînes d’approvisionnement ont, en effet, poussé certaines entreprises à rapatrier une par-tie de leur production vers l’Europe. Le pays bénéficie également des chan-gements d’habitudes à l’oeuvre chez les consommateurs, plus exigeants en ma-tière de responsabilité sociale des entre-prises. Une étude menée en 2018 par le cabinet Ipsos Mori, en association avec le mouvement Fashion Revolution25 a ain-si montré que parmi les Français âgés de 18 à 35 ans, 72 % étaient prêts à changer de marques pour celles qui s’engagent à respecter les droits humains et l’environ-nement. Près de 40 % d’entre eux disaient acheter moins pour des motifs écores-ponsables. « Personnellement, quand je le peux, j’évite de consommer des produits qui viennent de l’autre bout du monde. Je voulais une marque à cette image », té-moigne le fondateur de Pétrone. Les produits qui sortent de l’usine d’Oliveira
DES TENDANCES QUI ÉVOLUENT CHEZ LES CONSOMMATEURS
« Privilégier la qualité et la proximité permet ainsi de moins polluer. »
PLUS ÉCOLOGIQUE
Émissions de gaz à effet de serre, épui-sement des ressources naturelles, utili-sations de produits polluants, production de déchets : dans l’Union européenne, l’habillement est, en effet, « la quatrième source de pression sur l’environnement et le changement climatique, après le lo-gement, l’alimentation et la mobilité », selon l’Agence européenne pour l’envi-ronnement (EEA). En 2020, la consom-mation de textile en Europe a ainsi néces-sité 9 m3 d’eau, 400 m2 de terres et 391 kg de matières premières par habitant, et généré une empreinte carbone d’environ 270 kg. Tandis que la majeure partie de l’utilisation des ressources et des rejets ont lieu en dehors de l’Europe. Privilégier la qualité et la proximité per-met ainsi de moins polluer. En compa-raison, là où la production d’un pull en laine rejette en moyenne une soixantaine de kilogrammes de CO2 selon les calculs de l’ADEME, la marque Asphalte déclare que ses pulls tricotés et confectionnés au Portugal ne rejettent que 15 kg de CO2. « La fast fashion est amenée à dispa-raître. Nous ne pouvons plus continuer à consommer de manière compulsive des vêtements à bas coûts produits par une main-d’oeuvre réduite à l’état l’esclave », estime le président de l’ANIVEC. Un pari sur le futur qui semble réussir à l’industrie de la mode portugaise et aux marques qui en font le choix. Au printemps, Nicolas Hernandez repartira ainsi à la recherche de nouveaux four-nisseurs au Portugal, cette fois-ci pour développer une nouvelle gamme de vê-tements de sport.
• KENZA SOARES EL SAYED