L’accès au logement à Lisbonne : situation actuelle et perspectives
© Céline Crespy
Partager cet article
Partager cet article

Cet article est réservé aux abonnés Lisboète Mag !

♥  Accédez à tous les contenus abonnés sur le site

♥  Soutenez une rédaction indépendante en faveur de la communauté francophone !

Le marché immobilier portugais reste dynamique, principalement sous l’impulsion des acheteurs étrangers attirés par des biens qui demeurent plus abordables que dans la plupart des autres pays d’Europe occidentale, notamment dans la capitale. Par ailleurs, le climat relativement doux et ensoleillé ainsi que le rapport qualité/coût de la vie qu’offre le Portugal continuent à séduire les étrangers qui sont également de plus en plus nombreux à rechercher des biens à louer à Lisbonne et alentours. Plusieurs décennies de mesures visant à capter les investissements étrangers et plus récemment les nomades numériques ont contribué à l’envolée des prix de l’immobilier. Le marché lisboète est désormais hors de portée des classes populaires et très difficilement accessible aux classes moyennes même les plus aisées, tant à l’achat qu’à la location. Depuis quelques années, les pouvoirs publics tentent de mettre en place des solutions pour enrayer cette crise du logement sans précédent.

Des prix tirés vers le haut par les investisseurs étrangers

À contre-courant du reste de l’Europe qui a vu les prix de l’immobilier diminuer lors de la pandémie, le Portugal est resté attractif pendant cette période et les investisseurs étrangers ont continué à affluer dans le pays. D’après l’Institut national de la statistique portugais – Instituto Nacional de Estatistica (INE) – les prix à l’achat ont grimpé de 27,5% entre mars 2020 et janvier 2022. Une tendance qui s’est logiquement poursuivie en 2022 avec une hausse de 13 % entre janvier et mars 2022 marquant la plus forte augmentation trimestrielle depuis 12 ans. L’INE précise en outre que le nombre total de transactions a atteint 167 000 en 2022, un record. Parmi les acheteurs, 25 000 étaient étrangers, ce qui représente une hausse de 70% par rapport à l’année précédente. Toujours selon les données de l’INE, les biens achetés par les étrangers affichent un prix au mètre carré en moyenne supérieur de 50% à celui des biens acquis par des Portugais. Cette différence peut atteindre + 65% au sein de l’Aire métropolitaine de Lisbonne. La perspective de faire de leurs propriétés des locations saisonnières, à destination des touristes ou des nomades numériques voire des étudiants en échange universitaire habitués à des loyers élevés dans leur pays d’origine, a longtemps constitué l’une des motivations à l’achat des étrangers, notamment des ressortissants européens. La part non négligeable de citoyens extérieurs à l’espace Schengen parmi les acquéreurs s’explique quant à elle par la mise en place du golden visa qui octroie à ces étrangers un statut de résident fort avantageux – notamment en matière de fiscalité – en contrepartie d’un investissement immobilier d’un minimum de 500 000 € ou 350 000 € dans le cas d’un bien à rénover situé dans des zones de régénération urbaine. Dans certains quartiers du centre de Lisbonne, les prix atteignent parfois les 5 000 € du mètre carré et sont aujourd’hui plus élevés qu’à Milan, Madrid ou Barcelone, des montants qui barrent l’accès à la propriété à la majorité des Lisboètes qui subissent également une augmentation considérable des taux d’intérêt. Le segment de l’immobilier de luxe fait cependant exception puisqu’il compte désormais 60% de transactions réalisées par des Portugais, ce qui n’était pas le cas avant 2021 lorsque les acheteurs étrangers étaient majoritaires.

 

Le nomadisme numérique, catalyseur du processus de gentrification

À l’origine plutôt réservé aux travailleurs indépendants, le nomadisme numérique s’est développé sous l’impulsion de la pandémie qui a étendu le télétravail à des secteurs jusque-là peu concernés par cette pratique, ce qui a entraîné une augmentation du nombre de nomades numériques et une diversification de leurs profils. Certaines entreprises ont décidé d’aller plus loin en autorisant leurs salariés à continuer à travailler à distance même après la crise sanitaire. Dans ce contexte, le visa mis en place par le gouvernement portugais en 2018 à destination des nomades numériques a logiquement pris son essor avec la pandémie. Parmi les conditions nécessaires à l’octroi de ce visa figure « la preuve d’un revenu mensuel moyen avec une valeur minimale équivalente à quatre salaires mensuels minimums au Portugal ». Outre les 26 525 citoyens hors UE ayant bénéficié de ce titre de séjour entre 2018 et avril 2023, le Portugal a accueilli et continue à accueillir de nombreux nomades numériques ressortissants de l’espace Schengen. L’ensemble de ces étrangers travaillant à distance, majoritairement depuis la région de Lisbonne, dispose d’un pouvoir d’achat globalement plus élevé que la moyenne portugaise, ce qui n’est pas sans conséquence sur l’immobilier, notamment locatif. Pour obtenir les meilleurs biens voire par simple méconnaissance de la réalité du marché, certains nomades numériques alignent le montant qu’ils sont prêts à débourser pour une chambre en colocation ou un studio sur les prix pratiqués dans leur pays d’origine. C’est ainsi que dans les quartiers de l’hypercentre particulièrement prisés par la communauté « digital nomad », il est très fréquent de trouver des annonces de recherche de location mettant en avant un budget de 800 € ou 900 € voire 1 000 € ou plus pour un studio ou une simple chambre en colocation. Ce phénomène n’est d’ailleurs plus cantonné à des quartiers comme Príncipe Real ou la Baixa mais touche désormais toute la Lisbonne intra-muros. D’après l’INE, les loyers ont augmenté de 50% au cours des 5 dernières années.

 

Une crise du logement sans précédent qui touche l’ensemble de la population

Si les politiques menées au cours des deux premières décennies 2000 par les gouvernements portugais successifs afin d’attirer les investisseurs étrangers ont indéniablement porté leurs fruits, le bilan de telles mesures ne peut cependant pas se limiter à la réhabilitation d’immeubles dégradés du centre-ville de Lisbonne. Les nouveaux usages de l’immobilier introduits par ces nouveaux investisseurs (locations saisonnières, projets luxueux…) ont conduit à la modification du tissu résidentiel lisboète et par la même occasion de la sociologie de quartiers entiers desquels les populations les plus pauvres puis les classes moyennes ont dû s’éloigner.  Dans un pays où le salaire minimum augmente certes chaque année mais reste l’un des plus faibles de la zone euro et où la moitié de la population gagne moins de 1 000 €, l’explosion des prix de l’immobilier a entraîné une crise du logement sans précédent, notamment dans la capitale. Une crise aux conséquences accrues par la quasi-absence de vastes programmes de construction de logements sociaux tels qu’il en existe dans la plupart des grandes métropoles d’Europe occidentale, à l’exception de ceux mis en place entre la fin du XXe et le début du XXIe siècle pour résorber l’habitat précaire en périphérie de Lisbonne. Sur fond de précarité sociale et économique (stagnation des salaires, inflation…), cette crise a poussé des milliers de Portugais dans la rue.  Pendant le week-end du 1er avril, des manifestations ont eu lieu dans 6 villes du pays pour défendre le « droit à un logement ».

De son côté, Agustín Cocola-Gant, chercheur à l’Institut de géographie et d’aménagement du territoire de l’université de Lisbonne, met en avant le fait que cette crise du logement affecte la population portugaise dans son ensemble – pas seulement les personnes les plus vulnérables –n’épargnant que les plus aisés. Ainsi, les familles n’ont plus la capacité de payer un logement à leurs enfants étudiants qui ne peuvent plus se diriger vers certaines universités et doivent opter pour des campus de proximité lorsque c’est possible, voire renoncer à certains cursus. Par ailleurs, même lorsqu’ils trouvent un emploi en CDI, les jeunes peinent à quitter le domicile familial. De plus en plus de médecins hésitent à ouvrir des cabinets dans certains quartiers de la capitale à cause du prix des loyers, d’autres transfèrent leur activité ailleurs.

Face à l’ampleur de la crise, le Gouvernement met en place des mesures pour réguler le marché de l’immobilier et faciliter l’accès au logement, notamment dans les zones les plus touchées comme la Grande Lisboa. La Ville de Lisbonne propose également des solutions pour répondre à l’urgence sur son territoire.

 

Une série de mesures pour répondre à l’urgence

Territoire le plus sévèrement touché par la crise du logement, l’aire métropolitaine de Lisbonne   ne compte pas moins de 48 000 logements qui ne sont recensés ni comme résidences principales ni comme résidences secondaires. Selon Filipa Roseta, conseillère municipale déléguée au logement et architecte de profession, « l’équipe municipale a pour mission de trouver des pistes pour inviter les propriétaires à œuvrer à la valorisation de ces logements main dans la main avec les pouvoirs publics ». L’élue précise par ailleurs que, parmi ces logements, 2 000 appartiennent à la Ville de Lisbonne qui a fait de leur réhabilitation et de leur mise sur le marché une priorité, au même titre que la mise aux normes des logements sociaux non équipée d’une salle de bain. En outre, la Sociedade de Reabilitação Urbana, chargée des projets de réhabilitation urbaine de la capitale, a vu son budget atteindre 116,51 millions d’euros en 2022 (contre 78,77 millions en 2021). La Municipalité a par ailleurs mené des concertations avec les propriétaires afin de comprendre les raisons de leur réticence à mettre leurs logements sur le marché. Le principal frein invoqué est la peur des impayés renforcée par le sentiment d’impuissance des particuliers face à un locataire en défaut de paiement. Comme dans d’autres pays de l’Union européenne, les propriétaires pointent notamment du doigt des procédures d’expulsion difficiles à mettre en œuvre. La mise en place du programme Renda Segura dès 2020 a par ailleurs contribué à rassurer les propriétaires auxquels la Ville de Lisbonne apportait une garantie contre les impayés tout en s’inscrivant dans une dynamique de limitation des locations meublées de courte durée. Sur ce dernier point, la pandémie a joué en faveur des pouvoirs publics puisqu’elle a poussé de nombreux propriétaires lisboètes à reconvertir leur activité de location de courte durée en bail classique. Consciente de l’enjeu économique que représente le tourisme pour Lisbonne, la Municipalité ne mène pas une chasse aux meublés touristiques mais souhaite néanmoins équilibrer l’offre locative entre ce type de biens et les locations classiques.

Le programme Renda Segura est désormais clos mais le Gouvernement portugais et les Municipalités déploient d’autres dispositifs pour répondre à l’urgence logement. Parmi eux, le programme Renda Acessível qui cible les classes moyennes dont les revenus bloquent l’accès au marché locatif classique. Ce dispositif est piloté par l’Instituto da Habitação e da Reabilitação Urbana (IHRU) – Institut du Logement et de la Réhabilitation Urbaine – qui se porte acquéreur de logements dont il assure la réhabilitation avant de les attribuer, par tirage au sort, à des ménages dont les ressources respectent les critères suivants : ne pas dépasser les 35 000 € annuels pour une personne seule, plafond porté à 45 000 € pour un couple et incrémenté de 5 000 € par enfant à charge. En outre, les candidats ne doivent pas être propriétaire d’un logement dans l’aire urbaine pour laquelle ils postulent. Renda Acessível ne se cantonne pas à Lisbonne. D’autres agglomérations affectées par la crise du logement sont concernées. Parmi elles, Porto mais aussi Portimão, Évora ou Montijo, preuve qu’il devient également difficile de se loger de l’autre côté du Tage…  Le nombre de bénéficiaires reste cependant relativement limité par rapport aux besoins. On en dénombre 40 en 2021, 38 en 2022 mais déjà plus de 80 entre janvier et août 2023, ce qui semble confirmer la montée en puissance du dispositif souhaitée par le Ministère du Logement.

Autre programme destiné à faciliter l’accès au logement des classes populaires et moyennes, Arrendar para Subarrendar, va mobiliser un total de 28,8 millions d’euros d’ici 2030. Le principe est simple : le Gouvernement déboursera entre 400 et 2200 € pour louer à des particuliers des logements qu’il sous-louera ensuite à coûts réduits, entre 250 e 900 €. Au total, 320 logements seront concernés dans 16 municipalités : Lisbonne, Amadora, Cascais, Ílhavo, Marinha Grande, Oeiras, Portimão, Porto, Silves, Sintra, Tavira, Torres Novas, Vila do Bispo, Vila Franca de Xira, Vila Nova de Famalicão et Vila Nova de Gaia.

Enfin, l’approbation du programme Mais Habitação par le Parlement portugais le 6 juillet dernier marque une nouvelle étape de la lutte contre la crise du logement. Si la disposition visant à contraindre les propriétaires à mettre en location leurs logements vacants a suscité des levées de boucliers, sa mise en place est tellement encadrée qu’il n’y a en réalité que très peu de probabilité que le Gouvernement y ait recours. La fin du golden visa en contrepartie d’un investissement immobilier d’un minimum de 500 000 € ou 350 000 € dans le cas d’un bien à rénover situé dans des zones de régénération urbaine, en vigueur depuis 2012, constitue en revanche la décision-phare de ce package de mesures. Cette nouvelle réglementation ne remet cependant pas en cause les visas obtenus avant son entrée en application. Elle ne concerne pas non plus les demandes de visas dont la date de dépôt est antérieure à la date d’effet de la mesure. Les autres motifs d’obtention du visa doré, comme la création d’une entreprise génératrice d’au moins 5 emplois permanents, restent inchangés.

 

Pour en savoir plus sur les dispositifs mis en place par les pouvoirs publics pour enrayer la crise du logement, consultez les sites de la Ville de Lisbonne, du Gouvernement portugais et de l’Instituto da Habitação e da Reabilitação Urbana.

WP2Social Auto Publish Powered By : XYZScripts.com
Retour en haut