Interview : Hervé Di Rosa, fondateur de l’« art modeste », expose actuellement au MAAT
© Ricardo Lobo
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Installé à Lisbonne depuis 2013, Hervé Di Rosa, figure incontournable de la création contemporaine, expose au Museu de Arte, Arquitetura e Tecnologia (MAAT) jusqu’en septembre.

À l’image de l’artiste qui a parcouru le monde, posant ses valises au gré de ses envies, puisant son inspiration dans les savoir-faire traditionnels mêlés aux différentes techniques de l’art occidental, avant de s’établir dans la capitale portugaise, « Archipelago » constitue une invitation au voyage. Un voyage à travers plusieurs décennies de cet « art modeste » fondé par Hervé Di Rosa et destiné à faire connaître des formes de création parfois marginalisées et jugées indignes des « Beaux-Arts ».

L’art modeste, auquel l’artiste consacre un lieu d’exposition, le Musée international des Arts modestes (MIAM), dans sa ville natale de Sète, « ce n’est pas un genre, ce n’est pas un mouvement artistique, c’est surtout un regard, une nouvelle manière de voir les images et les objets créés par l’homme qui nous entourent et qui sont parfois invisibilisés par leur modestie ».

Bonjour Hervé,

Vous exposez jusqu’au 11 septembre prochain au Museu de Arte, Arquitetura e Tecnologia (MAAT) de Lisbonne, ville dans laquelle vous résidez depuis 10 ans. Pourquoi Lisbonne ? Qu’est-ce qui a fait que vous décidiez en 2013 de poser vos valises dans la capitale portugaise ?
Mon arrivée à Lisbonne est due à un mélange de raisons personnelles et professionnelles. Dans le projet général « Autour du monde » où je vais au gré de mes voyages rencontrer des techniques spécifiques à certains endroits de la planète, j’ai par exemple travaillé avec les fondeurs de bronze à Foumban et avec les tailleurs de bois dans cette même ville du Cameroun. Au Vietnam, j’ai appris la technique de la laque avec incrustation de nacre. La céramique m’intéressait depuis un moment mais je n’en avais jamais réalisé moi-même. J’avais tout au plus fait réaliser les céramiques d’après des maquettes que j’avais peintes. Je voulais à mon tour me coltiner avec les émaux, la cuisson, une matière très différente de la toile ou du bois qu’est la terre cuite émaillée. Après un ou deux années de recherche, j’ai eu la chance de trouver cette fabrique centenaire A Viúva Lamego qui avait déjà l’habitude de travailler avec de nombreux artistes. J’ai eu la chance de trouver une équipe formidable qui m’a tout appris. J’ai commencé par les fameux panneaux d’azulejos puis je me suis intéressé à la vaisselle, aux formes traditionnelles que créait cette fabrique depuis des décennies. Après plusieurs années de pratique dans cette fabrique, de nouvelles opportunités me sont apparues, comme les volumes par exemple et j’ai encore aujourd’hui, après toutes ces années, de nouveaux projets avec cette technique.

 

Ça fait donc déjà 10 ans que vous êtes installé ici, beaucoup plus longtemps que dans les autres villes où vous avez fait escale jusqu’à présent. Pensez-vous y rester encore quelques années ou bien bouger à nouveau pour vous établir ailleurs, vous qui avez parcouru de nombreux pays dans le monde entier ?
J’ai d’abord découvert le Portugal à travers ses grands panneaux de céramique qui constellent les châteaux et les maisons de Lisbonne et du pays. Très vite, je me suis aperçu que la céramique était une composante très forte de la culture du Portugal et de l’imagerie qui en découle. J’ai aussi découvert un Portugal riche en artisanat. Je suis allé à la rencontre de quelques artisans dans le nord du Portugal, qui réalisent d’extraordinaires figurines en céramique, parfois depuis plusieurs générations. Je suis né au bord de la mer Méditerranée à Sète et je dois dire que même si j’ai adoré ma précédente étape à Séville en Andalousie, la mer m’a toujours manqué. Ici, l’océan comble ce manque. De plus, j’ai retrouvé dans la ville et aux alentours un esprit, une esthétique un peu surannée qui me rappelle fortement la ville de ma jeunesse. Un endroit encore magique, pas encore complètement transformé par la mondialisation.

 

Vos céramiques sont actuellement exposées aux côtés de celles d’une trentaine d’artistes dans le cadre de l’exposition collective « Obrigado à Terra » qui rend hommage à la tradition portugaise du travail de la terre cuite, au Palacio dos Duques de Cadaval à Évora. Vous réalisez également, pour la célèbre fabrique de carreaux de faïence A Viúva Lamego de Sintra, des tableaux sur azulejos, un savoir-faire là-encore profondément ancré dans la tradition portugaise. Comment est-ce que le Portugal a inspiré et continue à influencer votre œuvre ?
Pour moi, Lisbonne est le prototype de la cité du XIXe siècle avec à la fois ses progrès et ses désordres. Dans mes premières peintures et céramiques réalisées au Portugal, on retrouve l’influence des architectures superposées sur les différentes collines et aussi la modernité du XIXe siècle, en particulier l’architecture de l’ascenseur en centre-ville. Pour moi, Lisbonne a visuellement été un choc. Par la suite, la ville de Porto l’a été aussi, ainsi que les forteresses de l’Alentejo. Mais je pense que l’influence a été aussi plus profonde, c’est aussi pour moi un des derniers pays d’Europe dirigé par un premier ministre socialiste qui expérimente beaucoup de choses et souvent est plus moderne et plus courageux que partout ailleurs en Europe.

 

À l’entrée de l’exposition « Archipelago », le visiteur est accueilli par une œuvre de grande dimension, « Tous en bateaux », que vous avez réalisée en 1988. Le voyage est par ailleurs le fil conducteur de cette exposition mais également un élément récurrent dans votre œuvre. Comment définissez-vous votre lien au voyage ? De quelle manière est-ce que vos divers voyages ont inspiré votre travail ?
Jusqu’à l’âge de 18 ans, quand je suis allé à Paris pour la première fois, je n’avais jamais vraiment voyagé18 ans, quand je suis allé à Paris pour la première fois, je n’avais jamais vraiment voyagé. Quand je suis allé à New York en 1982, c’était la première fois que je prenais l’avion. Cependant, étant natif d’un port, j’ai toujours eu une grande attirance pour l’ailleurs. Très jeune, j’ai eu la chance d’exposer un peu partout en Europe et aux États-Unis, et au Japon aussi. À la fin des années 80, j’avais envie d’aller ailleurs et de sortir de mon atelier. Ainsi au tout début des années 90, j’ai entrepris ce projet “Autour du monde » en allant à la rencontre d’autres créateurs dans le but de découvrir comment on fabrique les images et les objets ailleurs. Je suis intimement persuadé que les matériaux et les techniques utilisés influencent la création. Le génie de l’homme est d’adapter ce qu’il a sous la main pour créer de l’imaginaire. J’ai eu la chance, durant ces 30 dernières années, de rencontrer tout autour du monde des artisans qui m’ont transmis la passion de leur métier et de techniques parfois oubliées ou méprisées. J’ai toujours travaillé dans un but de recherche de rencontres, de production. Je déteste le voyage inutile et le tourisme. Par exemple j’ai travaillé pendant quatre ans dans un village à côté de Saïgon, sans forcément avoir à connaître tout le Vietnam. Ce sont ces lieux de création spécifiques et les gens qui m’intéressent. C’est comme au Portugal, c’est la fabrique A Viúva Lamego et certains quartiers de Lisbonne qui ont été mes principaux lieux de production. Aujourd’hui, nous devons considérer le voyage est les longs trajets d’une autre manière. Il y a aussi de plus en plus de pays inaccessibles pour cause de guerre ou d’instabilité. Paradoxalement, au début des années 90, le monde paraissait plus grand et plus accessible.

 

« Archipelago » propose de parcourir une large sélection des œuvres du Musée international des Arts modestes (MIAM) de Sète que vous avez fondé en novembre 2000 avec Bernard Belluc. Cette déambulation à travers plusieurs décennies d’ « art modeste » peut-elle être considérée comme une forme de rétrospective, une invitation à parcourir le chemin de votre vie artistique ?
Je ne voulais pas donner au MAAT une simple rétrospective de mes peintures ou de mes sculptures. J’ai essayé de faire comprendre toute la complexité de ma démarche qui ne se satisfait pas de produire, mais qui aussi collectionne, assemble et présente. C’est pour cela que j’ai créé le Musée international des arts modestes (MIAM) en 2000 dans ma ville natale de Sète. Pour pouvoir partager toutes les trouvailles réunies au cours de mes voyages et à travers mes rencontres. L’art modeste, ce n’est pas un genre, ce n’est pas un mouvement artistique, c’est surtout un regard, une nouvelle manière de voir les images et les objets créés par l’homme qui nous entourent et qui sont parfois invisibilisés par leur modestie. Ici pas de canons de bon goût, de mauvais goût, de design et de mode. Seule la nécessité d’améliorer le quotidien, d’embellir la vie, de rendre l’art présent et vivant autour de nous. J’ai choisi parmi les collections du MIAM les ensembles les plus typiques et les plus marginaux que nous possédons dans nos collections. Les objets touristiques fabriqués manuellement, par nécessité avec les moyens donnés par le lieu et dans des matériaux spécifiques côtoient des figurines en plastique finement moulées, représentant les personnages de films à succès, de séries télévisées et de dessins animés, éditées en des milliers d’exemplaires. L’invention face à la nécessité est l’une de mes recherches les plus importantes. C’est en m’imposant des matériaux contraignants comme le tressage de câbles de téléphone en Afrique du Sud ou la céramique au Portugal que mes images se transforment, deviennent autre chose que le style ou l’habitude. Peindre doit être nécessaire. Sinon ce n’est que de la décoration.

 

À l’image de votre œuvre en général, cette expo revêt une dimension pluridisciplinaire. Est-ce un parti pris destiné à montrer qu’il n’existe pas de hiérarchie entre les formes et styles artistiques ? N’est-ce pas là une caractéristique de cet « art modeste » que vous avez conceptualisé ? Pouvez-vous définir en quelques mots ce style dont vous êtes le fondateur ?
L’imagerie populaire, la bande dessinée, l’illustration ou l’artisanat ont constitué ma première formation, bien avant d’entrer à l’école des Beaux-Arts et puis après à l’École Nationale Supérieure des Art Décoratifs de Paris. Bien sûr que Jérôme Bosch, Matisse, Rembrandt, Paolo Uccello ou Eugène Leroy ont beaucoup marqué ma peinture mais l’imagerie d’apparence simpliste de la bande dessinée, du dessin animé ou du film commercial ont aussi marqué fortement mon travail. Je ne pense toutefois pas que tout se vaut et que tout est pareil. Je suis pour un classement horizontal où toute création humaine a sa chance. Les dessins de Robert Crumb sont très loin des peintures de la Chapelle Sixtine mais j’aime les deux et jamais je ne pourrai dire laquelle de ces œuvres m’a influencé plus que l’autre. Nous sommes dans un monde où les images nous sont accessibles aujourd’hui beaucoup plus que hier, mais sachez tout de même que l’on ne trouve pas tout sur Internet. Avec l’utilisation de plus en plus massive des réseaux, la diversité se fait de plus en plus rare, focalisant souvent sur certaines productions, mais le bouillonnement constant d’Internet nous cache souvent des productions rares et merveilleuses. Le MIAM et l’art modeste sont là pour vous les faire découvrir. Notre regard est de plus en plus dirigé vers des productions imposées par le commerce international et l’industrie du luxe. Les musées et les lieux culturels portent aujourd’hui le nom de grandes marques de luxe. Est-ce que l’art est devenu comme une robe de haute couture ou une montre haut de gamme ? Je ne le pense pas, et c’est pour cela que je regarde sur les côtés, vers les marges, les périphéries. C’est ce rêve du quotidien transporté par ces objets et images modestes que je voudrais capter.

 

Suivez l’actualité d’Hervé Di Rosa sur son site internet et son Instagram.

 

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