Niché dans une impasse entre Rato et les Amoreiras, le Procópio Bar rythme la vie politique du Portugal depuis plus d’un demi-siècle. Dans ce lieu insolite se sont décidés quelques-uns des événements les plus importants de la démocratie portugaise, qui célèbre son cinquantième anniversaire cette année.
Des marches qui donnent sur une placette pavée, des maisonnettes de plain-pied datant du XVIIIe siècle : rien n’indique qu’un bar se cache dans les parages. Pourtant, une petite maison intrigue, avec sa façade recouverte par le lierre et les branches d’un bougainvillier. C’est en poussant sa porte d’entrée qu’on se retrouve transporté à la Belle Époque.
« Je suis tombée amoureuse de l’Art nouveau en regardant un film dans lequel apparaissait un bar rempli d’objets incroyables. »
Voici le Procópio Bar. Sa salle carrée présente un décor aux nuances de rouge dans une esthétique Art nouveau. Mobilier, miroirs, statuettes, luminaires de la période occupent presque tout l’espace disponible, offrant une ambiance tamisée et intimiste.
“Je suis tombée amoureuse de l’Art nouveau en regardant un film dans lequel apparaissait un bar rempli d’objets incroyables”, se souvient Alice Pinto Coelho, 86 ans et à la tête du Procópio depuis son ouverture, le 2 mai 1972. Baptisé en référence au célèbre Café Procope de Paris, le Procópio est né d’une volonté d’ouvrir un bar dans une période pourtant peu propice: le Portugal vit alors sous un régime autoritaire débuté en 1926.
A l’époque, “Lisbonne n’avait rien, il n’existait quasiment aucun endroit pour sortir le soir, si ce n’est quelques bars à hôtesses”, rembobine Alice Pinto Coelho.
Les premiers clients du Procópio sont des amis et des connaissances, le cadre y est strict. “J’ai été très dure avec eux, car ils étaient habitués aux bars à hôtesses et je ne voulais pas d’un lieu de séduction de ce genre”, rappelle Alice Pinto Coelho.
Rick’s Café lisboète
Le 25 avril 1974, la révolution des Œillets met fin à la dictature et signe l’avènement de la démocratie au Portugal. Pour le Procópio, c’est le début d’une nouvelle vie et l’arrivée d’une clientèle politique. Membres du Parti socialiste portugais, dont le siège se situe à moins de cinq minutes à pied, du Parti communiste et certains militaires politisés se mettent à fréquenter l’établissement.
Dans leur sillage, ils entraînent les journalistes : le Procópio devient alors un centre d’informations et de décisions, une sorte de Rick’s Café lisboète. Les habitués du bar disent que, ce qui ne se sait pas au Procópio ne vaut pas la peine d’être su. Sur ses sièges se sont par exemple succédé les présidents portugais Mário Soares et Jorge Sampaio, l’ancien président de la Commission européenne José Manuel Barroso ou encore l’ex-Premier ministre António Costa. Autour d’un verre de whisky, de vodka ou de gin, ces personnalités ont tour à tour défini le destin du pays.
Malgré son âge, Alice Pinto Coelho reste le capitaine du navire Procópio et ne compte pas s’arrêter là. “D’ici peu, je suis dans le cercueil, même si je déteste dire ça. Si je pouvais mourir ici, ce serait beau. Mais je resterai jusqu’à la fin, car pour moi le Procópio, c’est sacré”, assure -t -elle. Pour l’heure, elle fait l’effort d’être présente au bar tous les mercredis soir afin d’y raconter les innombrables histoires de ce lieu, l’un des derniers Mohicans de la nuit lisboète d’antan.