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En tête-à-tête avec Élie Semoun

par Adriana Dopio
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Avec son humour souvent provocateur et politiquement incorrect, Élie Semoun, 60 ans, est parvenu à se renouveler au fil des ans, passant avec aisance de la télévision à la musique et au cinéma, tout en conservant une place remarquable parmi les one-man-show. Il présentera, le 28 septembre prochain, son spectacle Élie Semoun et ses monstres, sur la scène du Centro Cultural de Belém.

Est-ce la première fois que vous venez à Lisbonne ?

En 1996, j’ai tourné Les Bidochon à Lisbonne avec Anémone et Jean-François Stévenin. J’avais emmené mon père lors de ce voyage. Je me souviens du tramway et des rues pavées de carrelage, magnifiques. Des années plus tard, j’ai séjourné en Algarve, mais je ne suis jamais revenu à Lisbonne, alors que j’y ai plein d’amis, qui seront présents le 28 septembre. Parmi eux Nicolas Benhamou, réalisateur, avec qui je viens de tourner On aurait dû aller en Grèce qui sort sur les écrans français le 13 novembre 2024 et aussi Claude François Junior qui habite au Portugal.

« La scène est et doit rester un espace de liberté. Toute ma carrière on m’a demandé si on pouvait rire de tout ? Aujourd’hui, je suis contraint de répondre : non. »

Vous avez un attachement particulier pour le Portugal ?

Surtout à travers la langue portugaise. Je suis amoureux fou de la bossa-nova, cette musique triste et gaie, un peu comme le fado. Je ne parle pas portugais, mais j’ai fait trois albums de bossa-nova. C’est une langue fabuleuse, mélodieuse, et que j’adore écouter.

« Je suis déjà en train d’écrire le prochain spectacle et il n’est pas exclu que je teste sur scène quelles nouveautés. »

Élie Semoun et ses monstres, que vous allez jouer, est votre dernier spectacle ?

Voilà bientôt trois ans que je tourne avec Élie Semoun et ses monstres, ce sera l’occasion de lui offrir un enterrement de luxe ! Je suis déjà en train d’écrire le prochain spectacle et il n’est pas exclu que je teste sur scène quelles nouveautés.

Avec le temps, vos textes sont-ils devenus plus incisifs ?

Ils l’ont toujours été. J’avais un sketch sur un pédophile que j’ai retiré pour ne pas avoir de souci. Depuis que règne la loi du premier degré, la provocation a du mal à passer. Mes textes sont plus trash qu’avant, mais je m’autocensure. L’époque a changé. On a donné la parole à tous les idiots et ils s’en servent pour vous interdire de rire de ci ou de ça. La scène est et doit rester un espace de liberté. Toute ma carrière on m’a demandé si on pouvait rire de tout ?
Aujourd’hui, je suis contraint de répondre : non.

Comment travaillez-vous ?

Je prends des notes. Je peaufine chaque phrase. J’enlève tout ce qui ressemble à du bavardage et je conserve l’indispensable. Dans l’idéal, je dois aboutir à une phrase, un rire. Je laisse libre cours à mon instinct d’humoriste, puis je teste mes textes avec du public. Le comportement des gens m’inspire beaucoup. Les idées me viennent souvent au réveil. Je me lève tôt, vers cinq heures et j’adore travailler dans mon lit, c’est l’endroit idéal pour travailler. J’écris pour partager avec le public mes émotions, ma vision de la société, de l’amour, de la mort, du racisme, de la bêtise humaine, de la violence.

L’écriture et le spectacle sont-ils indis- pensables à votre équilibre ?

Le spectacle est un vrai besoin. Je suis né sur les planches. Tant qu’il y aura du public pour apprécier les histoires que je raconte, je continuerai. Dans mes films comme dans mes spectacles, je partage ma vie, mes amours, la maladie de mon père… Des choses très personnelles. La scène me fait peur, mais elle me galvanise aussi. C’est cela qui est excitant.

Le trac a disparu ?

Le trac est resté le même et c’est affreux. Ceux qui disent qu’il est un accélérateur de performances se trompent. Le trac est atroce et paralysant. Il surgit dès les premières représentations, avant même d’entrer en scène. Je redoute particulièrement la présentation des nouveaux sketchs, comme je le ferai à Lisbonne, cela intensifie mon angoisse.

Quels sont les lieux les plus incongrus où vous avez joué ?

Le plus terrifiant, ce fut une boîte de nuit, avec Dieudonné, personne ne nous écoutait. Le plus incongru, c’était à Marseille, sur une piscine, debout sur une scène flottante. À la fin du spectacle, je me suis jeté à l’eau. Et le plus beau, sans doute le Casino de Paris ou dernièrement les Folies Bergères, pour la magni-
ficence de ces deux salles. Ce n’est pas le public qui fait la différence. Si vous êtes bon, il l’est aussi.

Pensez-vous avoir un don ?

Sans doute, puisqu’à 60 ans, je suis toujours en selle. Tout petit, j’ai cherché à capter l’attention des autres, à repérer le détail marrant. Ma mère est morte quand j’avais 11 ans. Très tôt, j’ai eu envie d’être différent en faisant le guignol, mais comme un professionnel ! Mon premier public s’appelait Agnès Charlemagne, une fille que je voulais séduire. Puis j’ai joué pour mes potes, ma famille. Les choses sérieuses ont commencé quand j’ai rencontré Dieudonné.

Quelles ont été les rencontres déterminantes dans votre carrière ?

Dieudonné, bien sûr. Un jeune homme vraiment drôle au moment de notre rencontre. Nous avons explosé dans le métier ensemble. Et puis Muriel Robin, avec qui j’ai commencé ma carrière à 19 ans, dans le sud de la France. On ne s’est plus quittés, notre amitié perdure aujourd’hui et elle m’a plusieurs fois mis en scène. Avec Dieudonné, c’est différent. On s’appelle de temps en temps. Mais il n’est plus un artiste, Dieudonné est devenu un homme politique dont je ne partage pas les opinions.

Comment décririez-vous votre caractère ?

J’ai l’air calme, mais je ne le suis pas vraiment. J’ai le tempérament d’un hyperactif, plutôt impatient et très – trop – réactif. Dans ma vie professionnelle et ma vie privée, je ne me mets pas en colère pour un rien, mais je fais les choses vite et parfois mal même si avec le temps, je m’améliore (rires).

Le documentaire que vous avez réalisé sur votre père vous a-t-il permis de lever des tabous ?

La caméra met une distance salutaire qui permet d’extirper les sentiments enfouis. Elle immortalise les émotions pour l’éternité. Elle rend la réalité moins cruelle, car elle nous place dans la fiction. Le documentaire m’a permis de pardonner certaines choses à mon père. On en veut toujours à ses parents pour des tas de raisons. J’ai reparlé de l’enterrement de ma mère auquel je n’ai pas pu assister et du temps que j’ai mis à réaliser qu’elle n’était plus là. On est retourné à Taza au Maroc, la ville natale de mon père. C’était dur car au quotidien, la maladie d’Alzheimer est terrifiante. Riche ou pauvre, elle nous concerne tous.

Vous avez eu reçu beaucoup de courriers après la réalisation de Mon vieux ?

Énormément. Le film a réconforté les aidants qui, comme moi, traversaient cette période pénible. On minimise leur rôle, mais ils sont essentiels, ont ont besoin d’être protégés et qu’on pense à eux. Sans quoi, la maladie d’Alzheimer peut rapidement faire plusieurs victimes collatérales.

Quelles relations entretenez-vous avec votre fils ?

Antoine a certainement plein de reproches à me faire et il reste entre nous des non-dits. Je lui parle ouvertement, mais communique-t-on vraiment assez avec nos proches ? Antoine a aujourd’hui 28 ans. Je le soutiens beaucoup. Il est peintre et je suis fier de lui.

Vous adorez, paraît-il, le jardinage ?

J’ai même écrit un livre : Pelouse interdite, éd Ulmer 2018, où l’on découvre des plantes insolites et méconnues. Le goût du jardinage remonte à mon enfance. Mes parents avaient acheté un terrain à 150 km de Paris, et ma sœur et moi détestions y aller. Petit à petit, j’ai pris goût aux week-ends en forêt. J’ai craqué pour la fougère, son beau feuillage, son élégance. J’ai commencé à en planter. Puis, j’ai acheté un terrain en Corse où je n’hésite plus à prendre la pioche pour bêcher. Non pas un potager – je suis nul en cuisine –, mais des tas de plantes et des fleurs d’ornements.

• PROPOS RECUEILLIS PAR YETTY HAGENDORF

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