Fils cadet du légendaire Serge Gainsbourg, Lulu Gainsbourg a posé ses valises près de Setúbal au Portugal. Il vient de sortir deux titres, Elle et Turbulences, où il affirme son identité artistique sans renier l’héritage familial. Rencontre avec un garçon touchant et discret.
Lulu Gainsbourg parle bas, très bas. Comme le faisait son père. « Un truc de famille, dit-il, qui concerne aussi ma sœur, Charlotte Gainsbourg. » À ses côtés, Lilou, sa moitié, sa parolière, son inséparable, l’enveloppe d’une douceur bienveillante tout au long de l’entretien tandis que Lulu nous explique être à moitié russe (du côté de son père), un quart chinois et un quart allemand (du côté de sa mère, Bambou) et nous raconte comment il est parvenu à rendre hommage à l’œuvre de son père tout en développant un style personnel.
Quand vous êtes-vous installé au Portugal ?
Après avoir vécu plus de cinq ans aux Pays-Bas, nous avions envie, ma copine et moi, d’un lieu plus ensoleillé. Très vite, nous avons été séduits par la gentillesse des Portugais. Il y avait l’océan, mais aussi une vraie qualité de vie que je n’avais pas croisée ailleurs. Je voyage depuis des années, j’adore ça. J’ai encore plein de pays à découvrir. Mais le Portugal revêt un caractère particulier, c’est un des seuls voyages que j’ai fait avec mon père.

Vous aviez quel âge ?
Un an et demi. J’étais bébé. Nous étions partis en Algarve. Il me reste quelques photos prises par mon père dans la piscine de l’hôtel, alors que je commençais à peine à barboter. J’ai réussi à identifier l’hôtel dans lequel nous avions logé et je compte bien y retourner un jour.
Qu'est-ce qui vous a attiré aux Pays-Bas ?
J’ai fêté mes 30 ans à Amsterdam, sur les conseils d’un de mes meilleurs amis qui est né en Belgique. Je n’étais allé qu’une fois en Hollande, dix ans auparavant. Nous y sommes restés deux jours, je suis tombé en extase devant l’architecture : la ville est vraiment magnifique. Après Londres, je n’ai pas eu envie de revenir à Paris. C’était une période de ma vie où je n’étais pas en phase avec moi-même, j’avais besoin d’aller voir ailleurs.
Après six ans aux États-Unis, puis six ans en Angleterre et cinq ans aux Pays-Bas, vous choisissez le Portugal ?
Les États-Unis, c’était pour mes études, j’ai passé quatre ans au Berklee College of Music puis deux ans à New York. Au Portugal, nous y sommes depuis deux ans. Je reste en moyenne cinq ans par pays, presque une durée de diplomate ! Cela fait bientôt 20 ans que je vis à l’étranger. J’ai vraiment la bougeotte et une vraie passion pour les voyages. On a donc opté pour Setúbal et, étonnement, la proximité de la mer me faisait peur, elle me donne la fausse impression d’être en vacances tous les jours. J’ai besoin d’être actif, de travailler, de sortir de ma zone de confort.
Vous n'avez pas la nostalgie de la France ?
De la France, il me manque surtout le bon croissant, la bonne baguette chaude. C’est un peu cliché, mais je suis attaché à la gastronomie française. La musique, je peux la pratiquer partout. J’aime être au Japon, mais j’ai la nostalgie des fromages français. Le vin, non, car je ne bois plus d’alcool.
Les amitiés que vous avez créées ont résisté aux frontières ?
Vivre à l’étranger crée forcément une distance, à fortiori avec ceux qui vivent à Paris et que je connais depuis l’enfance. J’ai la chance de revenir régulièrement pour des raisons professionnelles et personnelles. Je suis Français, j’en suis fier. Peut-être qu’un jour, je me poserai en France, ou pas. Voilà onze ans que je suis en couple avec Lilou, ma parolière, j’ai une chance folle de vivre une histoire d’amour qui dure, et ces déplacements nous les décidons à deux.

Parmi les villes où vous avez vécu, laquelle vous a marqué ?
New York. Sans hésiter. Au début, cette ville, je ne l’aimais pas. Puis, petit à petit, je me suis laissé envahir par l’incroyable énergie new-yorkaise et je me suis senti chez moi, pour la première fois de ma vie, depuis que j’avais quitté l’appartement de ma mère à Paris. Un sentiment de soulagement et de bien-être que je n’ai pas ressenti aussi intensément depuis.
Petit, de quel métier rêviez-vous ?
Je voulais être pilote de Formule 1. Et je n’ai toujours pas le permis ! Je me suis vengé sur les consoles. Adolescent, je me suis enthousiasmé pour les dessins animés, les mangas et rapidement, j’ai développé une passion pour le cinéma. Je voulais ouvrir un vidéo club, et pouvoir conseiller les clients sur les bons films à voir. Puis est venue la musique, en particulier la composition : celle des films et des jeux vidéo dont j’aurais pu être créateur. J’ai signé le thème principal d’un film indépendant japonais, il y a cinq ans, mais dans ce domaine, je n’ai pas dit mon dernier mot.

À quel âge la musique est-elle entrée dans votre vie ?
Mon père a insisté pour que j’apprenne le piano dès mon plus jeune âge. Il m’a offert un Bernstein, sur lequel il m’a joué de nombreuses mélodiesenfantines. J’avais beaucoup de facilité. La lecture des notes était pour moi plus facile que celle des lettres de l’alphabet. J’avais cinq ans quand mon père est parti. Ma mère m’a mis au Conservatoire où j’ai appris le solfège, puis le piano.
Vous avez eu une scolarité compliquée ?
Le langage musical et mélodique a toujours été plus simple pour moi que les mots. Je ne suis pas dyslexique, mais pas loin. J’ai progressé, mais je suis toujours plus expressif avec un piano qu’avec un stylo. Être « le fils de… », à l’école, n’a pas été facile. Dès les classes primaires, j’ai été regardé différemment. À l’appel, aux réunions de parents d’élèves et parfois certains professeurs m’avaient dans le collimateur. Après ma terminale au lycée Claude Monet à Paris, je suis parti à Londres en école de musique.
Quand on fait de la musique, le nom Gainsbourg est-il un cadeau ou un fardeau ?
Les deux à la fois. C’est un tout indissociable. Je suis fier d’être le fils de mon père. Je profite des avantages, mais il y aussi quelques inconvénients. Mon père a marqué son époque, il a écrit de très belles chansons, il était génial. Les gens restent fascinés par son talent. À l’approche de la quarantaine, j’avance, peu importe ce que les gens pensent ou disent sans me poser la question de la légitimité. J’ai choisi de vivre à l’étranger pour devenir anonyme et être reconnu par mon travail. Ce nom de Gainsbourg, que j’ai eu du mal à assumer, je le porte fièrement aujourd’hui.
« Le langage musical et mélodique a toujours été plus simple pour moi que les mots.»

Avez-vous pensé un jour changer de nom ?
Pour mon premier album, From Gainsbourg to Lulu en hommage au travail de mon père, j’ai pensé signer simplement Lulu. Mais le nom était déjà pris. En réalité, j’ai tenté malgré moi de ne pas être reconnaissable. J’ai laissé pousser mes cheveux, j’ai été gros, j’ai été maigre, même si les gens ne m’embêtent pas, longtemps, cette gêne est restée enfouie en moi. Je suis enfin en phase avec moi-même.
Qu'est-ce qui vient en premier, les paroles ou la mélodie ?
La musique. Je n’écris pas mes textes. Mon auteur est Lilou, la femme de ma vie. Elle a
de très bonnes idées. On se répartit les tâches. Je crée la mélodie, ensuite on ajoute les
mots. Je pars rarement d’un texte pour créer une musique, mais il n’y a pas de règles. Si
je n’ai pas accès à un piano, j’écris sur du papier à musique, j’en ai toujours dans mon
sac à dos avec moi. J’aime les partitions. Mes quatre premiers albums ont été écrits à
la main.
Quels sont justement les styles musicaux que vous aimez ?
J’aime le rock, la pop, évidemment, je suis un grand admirateur du répertoire de Michael Jackson, des Jackson 5, de Pink Floyd, d’Elvis, des Beatles, je suis très sensible à la musique des années 1960 à 1980 et j’écoute peu de musique moderne sauf Dirty Loops ou Haevn.
Êtes-vous proche de votre famille ?
C’est compliqué. J’ai longtemps été proche de ma mère. Il y a ce qu’on appelle communément la famille ; les parents, les frères, les sœurs… Et il y a la famille qu’on se crée, celle avec qui le lien est parfois plus intense qu’avec un frère. C’est un cadeau de la vie. Et c’est avec cette famille élargie aux quatre coins du monde que je me sens bien.
