Au cœur de la scène culinaire foisonnante de Lisbonne, Broto célèbre avec raffinement les saveurs portugaises, tout en leur insufflant une touche contemporaine. Ce restaurant intimiste conjugue avec harmonie produits de saison, techniques novatrices et profond respect des traditions, pour offrir une expérience gastronomique inoubliable, qui capture l’essence même de la cuisine portugaise moderne.
Il y a quelque chose de profondément émouvant à voir quelqu’un avec qui l’on a travaillé réaliser son rêve. J’ai rencontré Pedro Pena Bastos pour la première fois en 2019. Je supervisais alors le lancement du restaurant CURA à l’hôtel Ritz de Lisbonne, où il a été chef exécutif pendant cinq ans – un projet qui a décroché une étoile Michelin en moins d’un an. Aujourd’hui, attablée dans son nouvel établissement, au cœur du Chiado, j’assiste à une nouvelle étape de son remarquable parcours.

« Broto désigne une étape de croissance d’une plante », m’explique Pedro au cours de notre conversation. « Il s’agit de la première phase de croissance, juste après la germination, celle qui relie directement les racines à la partie supérieure de la plante. »
Le nom est apparu à un moment charnière de sa vie, alors qu’il ressentait le besoin de créer quelque chose « de plus global, accessible et direct, quelque chose qui touche les gens de manière plus immédiate ». L’objectif ? « Atteindre un public plus large tout en diversifiant le menu de façon dynamique et simple, sans jamais perdre de vue l’essentiel : des produits de saison, des petits producteurs et la qualité maximale de chaque ingrédient », explique-t-il.
Niché au Largo Rafael Bordalo Pinheiro, en plein Chiado, Broto s’enracine profondément tout en cultivant un esprit léger. L’espace raconte à lui seul une histoire d’artisanat portugais : pièces en terre cuite de l’Alentejo, artisans du Nord, tables en bois, petites cruches – tout a été soigneusement choisi pour « mettre sur la table la matérialité d’être portugais ».
Les luminaires attirent immédiatement le regard : singuliers, chaleureux, parfaitement adaptés à l’atmosphère intime que Pedro a voulu créer. Chaque élément, des céramiques aux verres, témoigne d’une vision collective élaborée avec son équipe, matérialisant un concept qui célèbre le savoir-faire traditionnel portugais.
Une soirée chez Broto
Je suis allée dîner chez Broto début octobre et, dès mon arrivée, j’ai ressenti la chaleur qui définit l’hospitalité du maître des lieux. La terrasse, je dois le dire, promet d’être absolument divine sous le soleil, parfaite pour les longs après-midi lisboètes.
Parmi les six cocktails proposés, mon choix s’est porté sur le Pepino Alentejano – eau de concombre, menthe pouliot et gin –, une révélation de fraîcheur et de saveur qui a donné le ton de la soirée. L’implication de Pedro dans la création de la carte des cocktails est évidente : chaque boisson s’ancre dans les arômes portugais, de la menthe pouliot à la verveine citronnée, des senteurs de foin aux notes de pin, jusqu’à un cocktail aux champignons, riche en umami, qui « évoque la sensation de boire quelque chose qui semble presque contenir de la viande, des protéines », explique le propriétaire de Broto.
Le pain au malt, élaboré à partir de blé local, est servi avec une huile d’olive verte extraite à froid, produite par la famille de Pedro et du beurre des Açores. Ici, il ouvre l’expérience – une rupture avec CURA, où le pain arrivait en milieu de repas –, ancrant immédiatement le convive dans le terroir portugais. Il doit y avoir du pain et du beurre sur la table, c’est une évidence.
Les bouchées de thon rouge, accompagnées d’un bouquet du potager et de tempura d’algues, illustrent la maîtrise technique de Pedro sans la moindre prétention – un parfait équilibre entre la terre et la mer, délicat, mais plein de caractère. Les pataniscas (galettes frites) de calamar, dorées et croustillantes, se marient à merveille avec le chou mariné acidulé et la joue de porc de l’Alentejo, riche et fondante, un équilibre parfait entre textures et saveurs. Quant au bœuf maturé, impeccablement assaisonné, il est relevé par le velouté du jaune d’œuf séché, des câpres frites et de fins toasts de céréales, à la fois délicats et croquants.
En plat principal, j’ai choisi le poisson de ligne, accompagné de légumes verts, de potiron Hokkaido, de chou kale et d’une sauce au persil. Ce plat incarne à merveille la philosophie du chef : « une cuisine portugaise raffinée, élaborée avec soin, tout en préservant le partage comme l’un des piliers essentiels du restaurant ».
Le vin : l’âme volcanique de Pico
Les vins servis sont aussi remarquables que les créations culinaires. Parmi eux, l’Ínsula Chão de Lava AA 2023 de Paulo Machado, un blanc de l’île de Pico, me tient particulièrement à cœur. Sur le versant sud du mont Pico, les sols volcaniques de São Mateus donnent naissance à des raisins d’un caractère exceptionnel. Cet assemblage de Verdelho, Arinto dos Açores, Fernão Pires, Boal et d’autres cépages autochtones offre exactement ce que promet le vigneron : « une diversité d’arômes fruités propres à chaque variété, frais, minéraux, salins, équilibrés et séduisants. »
À chaque gorgée, on est transporté parmi les murets de lave noire et les currais (enclos) protégeant les vignes ancestrales des vents de l’Atlantique. Avec cette minéralité volcanique, mêlée au sel marin. C’est le genre de vin qui fait comprendre pourquoi Pedro insiste sur l’identité portugaise dans chaque détail de Broto.
Nous avons également dégusté le Xisto Ilimitado 2024 de Luis Seabra Vinhos, issu du Douro – une autre expression du terroir portugais, cette fois façonnée par les sols de schiste qui confèrent au vin sa structure minérale si distinctive.
L’incontournable signature du chef
Impossible d’évoquer la carte sans mentionner le plat signature du chef : le calamar aux noisettes, beurre d’algues et caviar osciètre. Ce plat l’a suivi d’Esporão à Ceia, puis à CURA, évoluant à chaque étape.
« J’ai décidé de le conserver à la carte de Broto, parce que de nombreuses personnes me l’ont demandé », confie-t-il. « Ce plat est devenu un incontournable et, pour l’instant, on le garde. Il représente mon évolution en tant que cuisinier ces dernières années. Même si c’est un plat assez raffiné, il trouve sa place ici. C’est une recette qui vient directement de mes souvenirs de massadas (pâtes). »
Parmi les desserts, les farturas (pâtisseries à pâte frite) accompagnées de leite creme (crème brûlée) au thym citronné méritent à elles seules une visite. Pedro parle avec poésie du « leite creme, présent dans toutes les réunions de famille, si portugais, si réconfortant ; et des farturas, vendues traditionnellement dans les fêtes foraines. Les réunir crée un moment dynamique à table, où l’on peut presque utiliser les farturas pour nettoyer le bol de leite creme. »
Pas de cuisine étoilée, mais du travail d’orfèvre
Lorsque je l’interroge sur sa prise de distance avec la haute gastronomie après l’étoile Michelin du CURA, Pedro répond sans équivoque : « Je n’ai pas abandonné la cuisine étoilée. J’ai simplement ouvert un restaurant qui n’en adopte pas le formalisme. C’est un lieu extrêmement soigné, où chaque détail compte, mais le service est plus rapide, plus détendu, plus accessible, sans toutes ces barrières que l’on rencontre parfois dans les établissements haut de gamme. »
Il a quitté le CURA et son étoile à peine trois semaines avant le gala Michelin. Une décision audacieuse qui a suscité de nombreux commentaires dans le monde culinaire portugais. Pedro s’était imposé comme une figure incontournable durant son passage à CURA, non seulement pour avoir obtenu et conservé l’étoile Michelin, mais aussi comme membre apprécié du jury de MasterChef Portugal. À le voir circuler dans la salle de Broto avec aisance et joie, il est évident qu’il a fait le bon choix.
« Ce n’est qu’une phase », ajoute-t-il avec un sourire. « Je reviendrai bientôt avec d’autres projets et peut-être que l’un d’eux relèvera de la haute cuisine. »
Sa récente distinction – Two Knives World Class, aux Best Chef Awards de Milan – renforce son rôle d’ambassadeur de la gastronomie portugaise. « La reconnaissance internationale est sans aucun doute l’un des meilleurs ambassadeurs de notre gastronomie. Plus les chefs sont reconnus, plus notre cuisine gagne en visibilité à l’étranger et plus nous avons de marge pour faire évoluer et développer nos concepts. »
L’âme de Broto
Alors que la soirée touchait à sa fin, j’ai réfléchi à ce qui rend Broto si spécial. Ce n’est pas seulement sa cuisine exceptionnelle, sa carte des vins soignée ou son cadre élégant. C’est la vision de Pedro pleinement réalisée : un restaurant où l’âme portugaise rencontre la technique contemporaine, où tradition et innovation dansent ensemble, sans que l’une n’éclipse l’autre.
« J’espère que les clients se sentent au Portugal et qu’ils découvrent une cuisine dynamique, avec une touche différente, mais sans perdre cette âme portugaise que je trouve si importante », me confie Pedro. « Je pense que si cette âme existe, il faut l’utiliser. Ensuite, il s’agit de surprendre par le palais, par les associations, par les saveurs… mais l’âme doit toujours être présente. »
Et elle l’est. Dans chaque bouchée, chaque gorgée, chaque sourire chaleureux de l’équipe. Broto ne cherche pas à être autre chose que ce qu’il est : une cuisine portugaise sincère, raffinée et servie avec cœur. Je reviendrai bientôt pour ce plat de calamar. Et pour les farturas. Et pour un autre verre de vin de Pico sur la terrasse, quand le soleil sera de la partie.
Broto, Largo Rafael Bordalo Pinheiro 20A, 1249-050 Lisbonne
Du lundi au dimanche ; déjeuner : 12 h – 15 h ; dîner : 19 h – 23 h
Diana Castello Branco






